Les « inconnues connues » : Moment macroéconomique

De nos jours, l’incertitude règne, on a du mal à y voir clair et on ne peut être sûr de rien. Les banques restent chancelantes, et les délires entourant le plafond de la dette entraveront la croissance, peu importe l’issue de cette crise. Par ailleurs, nous gardons l’œil sur les actions européennes qui, à notre avis, sont en train de péricliter.

Résolue ou non, la crise du plafond de la dette est importante

D’aucuns diront que l’agitation entourant le plafond de la dette ne rime à rien. Après tout, les économistes rabâchent annuellement ce sujet depuis 2011, quoiqu’avec un désintérêt croissant. La crise se résorbe tous les ans, on passe à autre chose, et le gros drame se transforme en petit accroc dans les courbes à long terme. Mais même si on parvient à s’entendre à Washington, ce problème touche d’autres enjeux cruciaux qu’il serait bon de suivre de près.

Cette année, la tempête fait rage à un moment décisif dans la trajectoire économique des États-Unis – à seulement quelques mois (quelques instants?) d’une hypothétique récession. Sur le plan de la croissance, le plafond de la dette pose de graves difficultés. Mais pour le stratège macroéconomique, en revanche, ce « nouveau » risque n’aura probablement aucune incidence sur les fondements de l’environnement macroéconomique. En fait, l’économie sera encore plus profondément ancrée dans trois thématiques prépondérantes. Il faudrait donc laisser tomber les conjectures hypothétiques et se demander pourquoi cet événement pose problème relativement à ces grands axes.

  • Troubles causés par la persistance de l’incertitude – Si l’on ajoute la crise du plafond de la dette à l’autre « inconnue connue », à savoir un système bancaire chancelant, il est particulièrement difficile de discerner le risque ces jours-ci. Pour les investisseurs, il est préférable de ne pas parier gros, car le moment et les conséquences de certains événements font partie des inconnues.
  • Politisation accrue de la conjoncture macroéconomique – On peut travailler sur des données chiffrées, mais l’humain est moins prévisible, et les risques politiques à l’échelle nationale et internationale font qu’il est préférable de s’appuyer sur l’analyse par scénarios plutôt que sur l’analyse quantitative standard. Qu’il s’agisse du conflit entre la Russie et l’Ukraine ou de la politisation des banques centrales, la montée des pressions politiques sur les environnements macroéconomiques ne fait que confirmer notre conviction fondamentale : dans la conjoncture actuelle, la prudence sera de mise pour les investisseurs.
  • Persistance des obstacles financiers aux États-Unis – Même si elles sont moins délétères pour la croissance qu’en 2022, les interventions gouvernementales pèsent encore sur l’économie américaine, avec ou sans crise du plafond de la dette. Compte tenu de la forte inflation et de la hausse des taux d’intérêt, notre opinion subjective est que peu importe qui est au pouvoir, on veut toujours que le gouvernement freine ses dépenses. Cela ne fait que renforcer notre attente d’une récession à court terme suivie d’une croissance timide, mais tenace, aux États-Unis.

Contribution de la politique budgétaire américaine à la croissance du PIB (%)

Source : Brookings Institute, Macrobond et Gestion de placements Manuvie, au 15 mai 2023. La zone grise indique une récession aux États-Unis. La zone ombrée orange indique qu’il s’agit de données prévisionnelles.

Un paramètre essentiel : les activités d’emprunt

Alors qu’on essaie de comprendre les batailles politiques et de discerner leur impact (très réel) sur l’économie, l’autre grande « inconnue connue » pour l’économie des États-Unis et du reste du monde est l’évolution de la situation bancaire : chute des dépôts et lente croissance du nombre de faillites de petites banques américaines. Est-ce que cela va perdurer? Les faiblesses de certaines banques représentent-elles un risque systémique? À quoi peut-on s’attendre? Mais parfois, la réponse la plus courageuse (et la plus responsable) est d’admettre qu’on ne sait pas exactement ce qui va arriver. La meilleure façon de faire consiste plutôt à se concentrer sur ce qui est effectivement quantifiable.

Pour ceux d’entre nous qui surveillent l’économie, le point sensible demeure le resserrement actuel et persistant des normes de crédit, lequel est exacerbé par la fragilité du système bancaire. Depuis 30 ans, un tel durcissement débouche inévitablement sur une récession. Le Sondage sur les pratiques de crédit bancaire auprès des premiers agents des prêts du 30 avril vient étayer notre conviction que les États-Unis connaîtront une récession à la fin de 2023. Même si le système bancaire finit par reprendre pied, ce resserrement est suffisant en lui-même pour freiner la croissance. Si d’autres faillites bancaires se produisent, cela aggravera encore plus le ralentissement de la croissance. Bref, voici le choix qui s’offre à nous : une récession, ou bien une récession encore pire. Quoi qu’il en soit, la prudence et la préférence donnée aux occasions de placement à long terme représentent la marche à suivre dans cette conjoncture nébuleuse.

L'activité de crédit est une donnée essentielle

Les enquêtes auprès des responsables des prêts aux États-Unis devancent le PIB

Graphique de l'évolution de l'enquête auprès des responsables des prêts aux États-Unis. Il s'agit d'un bon indicateur des récessions et il est devenu négatif récemment.

Source : Réserve fédérale américaine, Bureau of Economic Analysis, Gestion de placements Manuvie, au 19 mai 2023. SLO = enquête auprès des responsables des prêts. Les barres grises indiquent la récession aux États-Unis.

L’Europe en perte de vitesse

Dans un monde balayé par la tempête, les actions européennes offraient un assez bon refuge ces six derniers mois environ. Elles ont dégagé un rendement nettement supérieur entre septembre 2022 et avril 2023,1 car les inquiétudes des marchés au sujet d’une grosse crise énergétique se sont dissipées, et le potentiel de croissance alimentée par l’argent public a produit un risque de hausse qui n’était guère visible ailleurs.

Mais l’éclat de l’Europe commence à s’estomper, et nous avons du mal à voir cette région comme un lieu favorable aux négociations à l’échelle macroéconomique. Bref, l’Europe semble destinée à subir des dynamiques plus stagflationnistes que prévu. Du côté de la croissance, l’Europe ne bénéficie pas vraiment de la réouverture si médiatisée de la Chine, pays qui se préoccupe surtout de son marché intérieur. Cela ne représente donc pas une si bonne aubaine pour la croissance mondiale (ou européenne). Les baisses observées dans les principaux sondages sur la confiance ce mois-ci, comme l’indicateur ZEW du climat économique, corroborent cette déception. De plus, l’inflation semble être destinée à persister, ce qui peut représenter un problème plus grave encore. En effet, les enquêtes auprès des consommateurs et les ententes salariales montrent au mieux une stagnation, et au pire, une détérioration des conditions inflationnistes.

La BCE prend des mesures plus strictes que la Fed et continuera probablement de le faire. Ainsi, même si l’Europe semble encore dans une situation relativement meilleure que le reste du monde, il faut reconnaître que sa situation macroéconomique est plus fragile.

Source : Gestion de placements Manuvie, au 23 mai 2023.

1 Bloomberg

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Frances Donald

Frances Donald, 

Ancienne économiste en chef, Monde et stratège

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Erica Camilleri , CFA

Erica Camilleri , CFA, 

Analyste principale macroéconomique mondiale, équipe Solutions multiactifs

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