Trois questions pour la réunion de la Fed du 22 mars

Chaque réunion de la Réserve fédérale américaine (Fed) est importante pour les marchés et a une signification qui n'est pas toujours évidente immédiatement. Cela dit, certaines réunions sont plus importantes que d’autres. Selon nous, la réunion de la Fed du 22 mars sera particulièrement critique et déterminante pour les investisseurs.

Tout d'abord, la réunion du 22 mars marquera le premier anniversaire de la première hausse des taux d'intérêt de ce qui deviendrait le cycle de hausse des taux le plus agressif de l'histoire des États-Unis.

Au sein de la communauté des placements, nombreux sont à dire que les hausses de taux opérées cette année étaient nécessaires. La Fed a dû agir face à un marché du travail exceptionnellement fort et à un niveau d'inflation le plus élevé que le pays ait connu depuis des décennies.

Cependant, moins de deux semaines avant ce qui aurait dû être une simple hausse de taux supplémentaire pour contenir des niveaux d'inflation toujours élevés, l'inattendu s'est produit. En effet, les inquiétudes dans le système bancaire mondial ont fait craindre une crise bancaire. L'environnement opérationnel s'est rapidement assombri, créant des implications importantes pour la Fed.

Comme nous l'avons noté précédemment, les tensions dans le système bancaire américain, qui, au minimum, ont été indirectement aggravées par les décisions antérieures de la Fed, ont créé un choc d'incertitude important qui a augmenté les chances d'un nouveau resserrement significatif des normes de prêt. Ce choc a également augmenté les chances déjà élevées d'une récession en 2023.

En d'autres termes, la tâche de la Fed est devenue beaucoup plus difficile.

Nous pensons que la Fed choisira de procéder à une hausse de 25 points de base (pb), une décision que les marchés attribuent une probabilité d’environ 75 % de se produire

La banque centrale doit maintenant évaluer si le programme de soutien qu'elle a mis en place avec la Federal Deposit Insurance Corporation et le Trésor américain a permis d'éliminer les risques de contagion et d'empêcher que l'événement ne se transforme en une véritable crise bancaire. Une partie cruciale de cette tâche consiste à se demander si de nouvelles hausses des taux d'intérêt ne risquent pas de déstabiliser davantage un système bancaire déjà très agité.

La Fed devra également recalibrer ses perspectives d'inflation pour tenir compte de l'évolution rapide de l'environnement macroéconomique. En effet, différentes poches de stress émergent dans le système financier et la Fed devra évaluer ce qu'elles pourraient signifier pour l'économie réelle. La banque doit déterminer si les coûts liés à une hausse de taux d'intérêt aujourd'hui pourraient être plus élevés que les avantages qui en découleraient. Pire encore, la Fed devra parvenir à une conclusion en quelques jours seulement.

Nous pensons que la Fed choisira de procéder à une hausse de 25 points de base (pb), une décision que les marchés attribuent une probabilité d’environ 75 % de se produire1. Cependant, la décision sur les taux d'intérêt du 22 mars pourrait s'avérer être la nouvelle la moins importante de la journée. Voici trois questions que nous nous posons sur les réflexions de la Fed et qui nous semblent plus pertinentes pour les marchés.

1 Les bons outils pour le bon travail : dans quelle mesure la Fed séparera-t-elle ses responsabilités en matière de stabilité financière de son mandat de stabilité des prix?

Au fur et à mesure que se répandaient les tensions dans le système bancaire, le marché a réagi en réduisant considérablement la probabilité implicite de hausses des taux en 2023, tout en évaluant la probabilité d'une baisse des taux dès le milieu de l'année. Conséquence : Les marchés considèrent la stabilité (ou l’instabilité) financière comme une contrainte pour la politique monétaire et, dans ce cas, comme une limite à la capacité de la Fed de continuer à augmenter les taux d'intérêt pour lutter contre l'inflation.

Cependant, la friction entre la stabilité financière et la stabilité des prix n'est pas nouvelle et les recherches menées par les banques centrales sur le sujet ne manquent pas1. Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d'Angleterre, a notamment fait couler beaucoup d'encre en se demandant si la politique monétaire devrait aller à contre-courant aux fins de la stabilité financière. La conclusion à laquelle il est parvenu est que ce n'est certainement pas le cas.

Les marchés semblent penser que l'instabilité financière pourrait restreindre la capacité de la Fed à relever ses taux, un point de vue que la Fed pourrait ne pas partager.

La Fed peut-elle se permettre d'augmenter ses taux tout en maintenant un système financier sain? L'ancien président de la Fed, Ben Bernanke, a clairement indiqué dans son tout premier discours en tant que gouverneur de la Fed qu'il valait mieux s'appuyer sur des mesures ciblées telles que la réglementation et la supervision financières pour promouvoir la stabilité financière plutôt que sur la politique monétaire. Il a déclaré à l'époque (et l'a répété à maintes reprises depuis) que la Fed devait utiliser le bon outil pour le bon travail. La présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, semble être sur la même longueur d'onde. Le 16 mars, la BCE a annoncé une hausse de 50 pb et a déclaré qu'il n'y avait pas de compromis entre la stabilité des prix et la stabilité financière.

Il est donc important de se questionner si le président de la Fed, M. Powell, est d'accord avec ses pairs européens et son prédécesseur. S'il souligne que la Fed dispose d'outils précis pour faire face à l'instabilité financière (et que ce ne sera pas sa politique monétaire), le marché pourrait devoir réévaluer son hypothèse actuelle selon laquelle les inquiétudes du système bancaire nécessitent la fin du cycle des hausses de taux.  S'il semble adopter un autre point de vue, le marché pourrait alors s’attendre à une intervention future de la Fed.  

2 La Fed ira-t-elle à l’encontre des attentes du marché selon lesquelles des baisses de taux pourraient se matérialiser d’ici la fin de l'année?

Les attentes du marché pour le 22 mars se situent entre une baisse de 25 pb et une hausse de 25 pb. En tant qu'investisseurs à long terme, nous pensons qu'il n'est pas judicieux de se concentrer uniquement sur cette question. La question beaucoup plus importante est de savoir si les marchés ont bien compris l'histoire des taux directeurs à long terme. Au cours de la semaine précédant la réunion du mois de mars de la Fed, le marché est passé d'une prévision de quatre hausses de taux d'ici à la fin de 2023 à trois baisses de taux d'intérêt, avant de s'arrêter sur une seule baisse1.

Bien que les fluctuations des attentes aient eu lieu dans un contexte de volatilité extrême des marchés, le président Jerome Powell pourrait conclure que des attentes prématurées de réductions pourraient compromettre les progrès déjà réalisés au niveau de son double mandat. S'il décide de profiter de la conférence de presse qui suit la réunion de la Fed pour s'opposer à ces attentes à moyen terme, cela pourrait entraîner une révision à la hausse des attentes en matière de hausse des taux (c.-à-d. plus de hausses des taux).

Il n'y a pas si longtemps, M. Powell a déclaré : « Nous ne pensons même pas à penser à augmenter les taux ». Pourrait-il maintenant dire que la Fed ne pense même pas à baisser les taux? Cela pourrait être plus important (et plus important pour le marché) que la décision des taux lors de la prochaine réunion de la Fed.

3 La Fed est-elle rassurée par la récente dynamique désinflationniste?

Si nous avons raison de dire que la Fed n'est pas à l'aise avec l'utilisation de la politique monétaire pour cibler la stabilité financière, alors les marchés devront à nouveau se concentrer sur la dynamique inflationniste aux États-Unis, en particulier sur la façon dont la banque a tenu compte des données sur les prix de ces dernières semaines, notamment à la lumière de la volatilité du marché.

Oui, les mesures de l'inflation sont importantes. L'indice des prix à la consommation (IPC) semble se modérer, même s’il est encore à des niveaux inconfortablement élevés, tandis que l'indice des prix à la production (IPP) et les prix à l'importation sont en baisse. Tout cela indique des progrès, mais, certainement, le travail n'est pas tout à fait terminé. À cela s'ajoute une dynamique désinflationniste en temps réel qui s'est manifestée au cours de la semaine précédant la réunion de la Fed, ce qui rend la décision de la Fed plus incertaine.

Premièrement, les relevés d'inflation basés sur le marché ont reculé après une montée inconfortable au début du mois de mars qui aurait pu inquiéter plusieurs responsables de la Fed. Deuxièmement, ce qui est lié au point précédent, les prix du pétrole sont maintenant en baisse d'environ 45 % par rapport à leur sommet de mars 20221 et pourraient apporter un soulagement significatif à un large éventail de données sur l'inflation. Troisièmement, les conditions financières se sont resserrées à la suite des événements récents, un indicateur que le président Powell surveille de près.

Ces développements viennent peut-être juste de se produire, mais ils ont aussi probablement atténué certaines des inquiétudes inflationnistes entretenues par le président Powell et ses collègues. Reconnaîtront-ils ces améliorations, ce qui suggérerait que la Fed est moins paniquée par la possibilité d'une inflation enracinée, ou choisiront-ils de se concentrer sur le fait que l'inflation est encore trop élevée et trop éloignée de l'objectif de 2,0 % de la banque?

En fin de compte, même si les marchés s'intéressent davantage aux commentaires de M. Powell sur le système financier, les perspectives de la Fed seront en grande partie influencées par l'inflation et l'évaluation de son évolution par la banque.

 

 

1 Bloomberg, au 17 mars 2023. 2 La Banque de France,  la Banque centrale européenne, la Banque du Canada et la Banque des règlements internationaux, par exemple, ont tous publié de la recherche sur le sujet. 

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Frances Donald

Frances Donald, 

Ancienne économiste en chef, Monde et stratège

Gestion de placements Manuvie

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